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Nota bene

Mon cell vibre. Je jette un œil sur les textos affichés et tout mon corps s’enflamme. Il m’invite.  Je perds la tête à chaque fois, ça me semble toujours aussi incroyable: ce gars là se retrouve dans mes draps plusieurs fois par semaine, oui oui, les miens. J’ai une copine à la maison que j’ai tôt fait de virer, allez du balai, mon mec m’attend, je dois y aller.

Mais depuis un moment, ça se complique. Il est absent, occupé ailleurs. Les nuits se font plus rares, plus courtes, moins mémorables. Je me doute que je ne suis plus la seule à occuper ses rêves et ça me brise. J’ai  mis tout ça, mes inquiétudes, mes conclusions, sur papier, parce que le dire, c’est trop embarassant. De petits morceaux de papier de toutes les couleurs, reliés ensemble par leurs bordures encollées. Chacun d’entre eux comporte un argument pour nous, un autre contre nous et ma réflexion sur le tout. C’est une situation difficile pour nous deux. J’y ai mis mon coeur, mon sang, mes larmes. J’y ai mis notre vie ensemble. Elle défile en quelques mots griffonnés hâtivement sur ces Post-It arc-en-ciel quelques minutes avant de partir. J’y ai entremêlé des paroles de chansons, des poèmes, des dessins. C’est brouillon, mais c’est tout ce que je peux faire.

À destination, je saute du bus prestement, et il est là, devant moi, sa présence me coupe le souffle, j’en perds mes moyens, le peu qu’il m’en reste. Grand, svelte, une démarche de félin prenant son temps, confiant. Je vois à son regard que ça ne va pas. Tout gronde dans ses yeux sombres et sa mâchoire crispée est de mauvais augure. Nous marchons, ou plutôt il me dirige silencieusement dans le boisé tout près, là où la rivière est harnachée par une usine d’épuration dont l’eau s’échappe à gros bouillon. Nous prenons place sur des rochers, côte à côte comme les amoureux que nous étions il y a à peine quelques semaines. Les promeneurs autour ne voient qu’un couple dépareillé. Il n’a toujours pas ouvert la bouche. Je suis tendue, inquiète et tente de briser ce silence en lui offrant mes petits papiers. Il les prends machinalement, les déchire en tous petits morceaux, les jettent dans la rivière, sans même tenter de déchiffrer mon offrande. 

Je n’ai rien à ajouter. Ça ne pouvait être plus clair ni plus cruel. Je quitte mon rocher, seule, ravalant mes sanglots. Je retourne à la maison. Dans ma rétine est demeurée l’image des petits morceaux de papiers flottant sur les vagues, comme autant de bouteilles à la mer, des nota bene au verso d’une page, à jamais ignorés. 

Image par Pexels de Pixabay


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