Le Larousse nous dit:
Grotesque: Genre littéraire et artistique caractérisé par le goût du bizarre, du bouffon et de la caricature. À mes yeux, le grotesque fait plus que faire rire... il choque, dérange, surprend, dégoutte. C'est l'incroyable mis de l'avant, l'insupportable imposé.
Laura Vazquez donne en exemple un poème de Bronka Nowicka intitulé la petite cuillère, publié dans le recueil Nourrir la pierre. Le voici:
Les morts ne sucrent leur thé que lorsqu'on leur met une petite cuillère dans la main et qu'on décrit nous-mêmes des cercles au fond des tasses.
Les cristaux de sucre simulent une tornade, des trombes embarquent les feuilles de thé sur un manège.
Les petites cuillères posées sur la soucoupe ont déjà refroidi que les feuilles tournent encore.
Qu'il y ait du mouvement. Qu'une fourmi file sur la nappe en traînant une miette de gâteau. Il nous faut des guêpes au-dessus de la table. Que quelque chose bourdonne, désarme le silence de cette scène, avant que les morts ne le rompent par la langue que nous composerons pour eux à partir du papier fin enveloppant les mots. Avant qu'on se cache derrière leur dos et qu'on se mette à parler pour eux, nous imaginant que leurs lèvres bougent.
Plus tard, nous guiderons leurs doigts au-dessus des assiettes, nous émietterons les petits-beurre avec et ramasserons les miettes sur la pulpe de leurs doigts que l'on mouillera de notre salive. Enfin, fatigués par le poids des marionnettes, nous poserons leurs mains sur leurs genoux, nous faisant ainsi comprendre que c'est là que finissent et le goûter et le souvenir.
Je ne m'en suis pas vraiment inspirée, mais l'idée de l'imprévisible, de l'impossible, du saugrenu me parle beaucoup, alors je suis partie toute seule avec mes idées folles...
Voici le résultat:
I'm not in love
Faisant la file à la cantine, j’ai vu, juste derrière moi, la femme de la télé, oui, oui, celle que l’on voit réciter les nouvelles à tous les soirs. Elle portait des cornes sur la tête et des chaussures de flamenco. Celles-ci donnaient du tac-tac tout rouge au plancher à chaque mouvement de pieds. J’ai vite sorti mon cellulaire pour faire un selfie avec elle, ce n’est pas tous les jours lundi. Bien mal m’en prit, elle m’a foutu une corne dans l’œil et un coup de zappata dans le tibia. Son rire tonitruant a recouvert mon cri d’extase, ne laissant que mes larmes rouler sur ma poitrine à gros bouillons de poulet comfort food, bleu océan quasi turquoise, tu sais, genre carte postale en chocolat. Mais quelle jouissance, je te jure !
La belle, cette bête, m’a devancé dans la file, bousculant toute chair en vue, se servant à pleines mains dans les plats bouillants du présentoir. Sa queue touffue flottait sur ses épaules, sa moustache en guidon de vélo menait la danse, débordante de frémissements gluants sous l’assaut des effluves nauséabonds. Qu’on se le dise, ces mets sont cuisinés avec tout l’amour du monde. Nous ne nous tenions plus d’excitation nerveuse, projetés dans l’ombre épaisse des matrones-cuisinières. Leurs mains crasseuses de tripes déversées maniaient fermement le rude pavé de saumon cru, strié de vert-de-gris duveteux.
Une fois bien repue, je me suis dirigée vers la sortie, mais la lectrice de nouvelles, ces petites histoires sans prétention, n’est-ce pas ? me poursuivit de ses tentacules obscènes, me barrant la route de tout son corps rosi par l’effort. Son but ultime étant de m’encorner de plus belle, intérêt pour le moins inexplicable, je me jetais à plat ventriloque sous le comptoir de la caissière dont la bouche fermée au scotch jaune fluorescent hurlait des insanités salées sucrées. La lectrice refuse de payer la note, on la menace d’alerter la gendarmerie. Elle s’enfuit dans un grand éclat de rire gras, lançant à la volée des miettes de pain en forme d’étoiles, me laissant aux prises avec une émotion nouvelle dont je ne sais que faire, une érection de l’intellect, une emprise totale sur mon cerveau. Je suis ravie, quelle rencontre !
Ce fut un beau moment de créativité...et comme l'intérieur de la maison est recouvert de tissu protecteur et que l'opération peinture partout est en cours... ça m'a positivement occupé l'esprit pour un moment et m'a évité de pleurer!
![]() |
Commentaires
Publier un commentaire