Passer au contenu principal

Juste un petit soupir…

 

… et tu es parti. Un tout petit bruissement, ta paupière qui s’alourdit, ton regard tout à coup figé sur le néant. C’est fini.

 Tu es un être de souffrance, recueilli par pur hasard. Rejeté par ta fratrie, mon cœur n’a pu résister à tes yeux encore bleus, à ta maigreur de petite chose peu combative. Je suis tombée sous le charme de ta vulnérabilité et de ta fourrure si noire qu’on y voit des reflets bleutés.



On m’a dit — « C’est une fille ». Alors voilà, on a ça comme faux départ… quelques mois plus tard, il est devenu évident que cette Dora casse-cou était en fait un gros matou… Et gros et grand, oh que oui, tu l’es devenu. Un chat noir digne d’une grande sorcière! Tu as été renommé Midnight, mais pour moi, t’étais le Boubou. Petit surnom sans raison, juste pour le plaisir de la redondance, des sons moelleux qui se bousculent et roulent sur la langue, sur les lèvres. Le Boubou, comme ton gros corps tout long tout doux.

 Chat très calme, tu aimes les calins, les heures passées collées sur ma hanche alors que je tourne les pages d’un livre ou d’un autre, ma main errant sur ton corps rondouillet. Ce qu’on en a passé, du temps en tête-à-tête, toi et moi! Tu t’accaparais tous mes bouquins, couché dessus dès que tu en avais l’occasion.

 Et puis, un soir d’hiver il y a très très longtemps, tu t’es mis à hurler. Un miaulement de désespoir, sorti du centre de l’enfer, un miaulement de terreur. Tes intestins avaient cessé de fonctionner. Véto d’urgence, hospitalisation, lavements, grand déblocage, appels nous annonçant que tu ne semblais pas pouvoir t’en tirer… Mes larmes, mes protestations, je voulais un miracle, tu étais si jeune encore. Et puis, après quatre jours, enfin la bonne nouvelle ! Tu reprenais du mieux, tes reins n’avaient pas souffert, on peut te ramener à la maison dès maintenant! Ouf!

 Trois jours plus tard, voilà que ça recommence. Cris, hurlements… visite au véto du quartier où on te prend rapidement en charge et rebelote, hospitalisation à nouveau. Il semble que le véto d’urgence n’avait pas tout à fait terminé le travail. Au retour, tu semblais en état de choc, cet état d’impuissance acquise sur laquelle j’ai lu déjà, je le vois dans tes yeux, à la résignation qui s’y lit, dans ta posture écrasée, toi qui étais avant tout ça un fier matou ne connaissant que la tendresse. 

 

Tu ne peux plus vivre sans médicaments et tu dois te nourrir de nourriture à haute teneur en fibres.  Alors voilà, c’est ce qu’on a fait, à la lettre, pour te garder le plus longtemps possible. Ça aura duré presque dix ans, à coup de comprimés qui te causaient certainement des crampes abdominales en permanence, avec peu de gâteries afin de ne pas déranger un équilibre digestif fragile. On a tout de même eu droit à quelques épisodes de grandes diarrhées explosives et à des moments d’inquiétude extrême… par exemple, le jour où je t’ai surpris à avaler un long ruban de papier gommé!  Non, mais ça va pas ?? Qui fait ça? Mon Boubou, bien sûr!

 Quand j’y pense, ce choix de te garder dans ces conditions me semble très égoïste alors qu’on n’y voyait que de l’amour.

 Et… il y a quelques semaines, tu as commencé à te cacher. Tu mangeais moins, souffrais d’hypersalivation, ce qui te donnait un air terrible. Tu t’isolais souvent, caché dans tes petits coins secrets. Nous avons vu que ça n’allait plus et que ça ne pouvait durer plus longtemps. Nous avons compris que tu avais assez donné, en amour, en douceur, en câlins.

 Tu étais si calme, ta tête dans ma main. Tes yeux qui se voilent, mais encore si curieux, ce désir d’explorer qui a toujours été présent chez toi, même à la toute fin. Et le dernier souffle, à peine perceptible, l’annonce que ton cœur ne bat plus. La fin de tes souffrances, et le début d’une tristesse s’installant en moi à tout jamais. Un petit accroc de plus dans mon cœur qui a déjà perdu pourtant tant de bêtes toutes inconditionnellement aimées. Je ne m’y ferai jamais, à ces abandons forcés, ces cruautés, qui ne sont que l’expression de la vie qui se vit et qui se meurt.

 Ce matin, je repense à tous ces autres matins passés avec toi tout près de moi… lisant les journaux en sirotant le café alors que tu ronronnes juste là. Je n’ai jamais connu de chat plus bruyant dans l’expression du bonheur…

 Tu vas bien me manquer, mon gros Boubou…




Commentaires

  1. Ça me fend le coeur, Johanne, et je replonge dans mes émotions de novembre 2019. Vous avez pris la bonne décision, courage!

    RépondreEffacer

Publier un commentaire