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PERSISTANCE D’UNE MÉMOIRE OUBLIÉE DANS LA SAISON DE L’OMBRE DE LÉONORA MIANO

Travail réalisé dans le cadre du cours en littérature à l'automne 2024 sur les Écritures africaines de Léonora Miano enseigné par M. Isaac Bazié



 Introduction

 

La Saison de l’Ombre, de Léonora Miano, est un roman polyphonique, concept narratif permettant la présence d’une « pluralité des voix et des consciences indépendantes et distinctes dans une œuvre » (Bakhtine, 1970, 35), consistant « en une sorte de dialogue où différentes voix - celles des énonciateurs  - sont mêlées et confrontées » (Ducrot, 1989, 9)Le récit est porté par une narration hétérodiégétique à focalisation interne (Genette, 1972347)nous permettant de ressentir directement les émotions des protagonistesLa diégèse a lieu dans une région fictive, identifiée à l’espace subsaharienà une époque non précisée, mais rappelant le XVIIIᵉ siècle. Elle s’ouvre sur une analepse externe (Genette, 1972, 110), décrivant les sensations et émotions vécues par les femmes du récitaprès la tragédie dont on parlera plus tard (11). Les clans Mulongo et Bwele habitent ce lieu et sont voisinsAu fil du récit, nous réalisons que les Bwele chassent les Mulongo, et les remettent aux Côtiers qui les amènent aux « hommes aux pieds de poules » (79) venus par la mer, en échange d’armes à feu. L’autrice présente, dans ce roman, l’espace subsaharien précolonial au début de la Traite négrière, à l’intérieur des terres, à laquelle elle substituera le terme de Déportation Transatlantique des Subsahariens (DTS) (Miano, 2016, 141) afin de mieux coller à la réalité. De plus, « Les mots de “traite négrière” ou de “départ en esclavage” ne sont jamais prononcés, car, pour les dire, il faudrait qu’ils correspondent à une réalité dicible » (Chaulet Achour, 2016, 127-128), ce que personne, à ce moment, ne pouvait connaître ni pressentir, les gens capturés n’étant pas des esclaves avant de le devenir par la force des chosesMiano nous plonge dans les répercussions immédiates de la Déportation Transatlantique en exposant les conséquences dévastatrices de ces déplacements forcés sur les victimes directes et indirectes. Le récit est résolument créé dans un esprit postcolonialisteCes événements nous sont racontés du point de vue des communautés et plus particulièrement des mères et des femmes du clan Mulongocelles dont l’histoire officielle ne parle que très rarementdonnant au roman une teneur féministeLes lecteurs suivent la quête de certains membres du village partis à la recherche des douze hommes disparus la nuit même où un incendie a détruit une partie de leur clan. C’est Eyabemère d’un des jeunes manquant à l’appel, qui découvrira la cause de ces disparitions. Elle survivra à la capturedevenant dépositaire de la mémoire collective dans « ce lieu appelé Bebayedi, un espace abritant un peuple neuf, un lieu dont le nom évoque à la fois la déchirure et le commencement » (131), là où se rassemblent les fugitifs, les survivants de partout, donnant vie à un monde nouveau, aux origines multiples


« Ici, les gens n’ont pas de mémoire commune. Leur clan n’a ni fondateur, ni ancêtres tutélaires. Chacun a apporté ses totems, ses croyances, ses connaissances en matière de guérison. [...] Les gens d’ici ont fui les attaques des Côtiers et de leurs comparses » (124-125).  

 

Le texte fictif est soutenu par une enquête menée par l’autrice à l’aide d’importantes recherches (233, 234). Elle y décrit les aspects de la vie matérielle et spirituelle des Subsahariens de l’époque précolonialepeignant ce volet peu connu de l’histoire mondiale par « une reconstitution des destins oubliés ou non-dits » (Porra, 2023, 101). Tousautant déportés que résistants, commerçants européens et gouvernements des pays coloniaux et des pays colonisésont laissé peu de traces au sujet de cette période. Cependant, des archives de témoignages oraux existentdécrivant les mesures extrêmes auxquelles les Subsahariens se sont soumis afin d’échapper à la capture :

 

Ce grand-père, je me souviens, me disait que quand les Blancs venaient, ils choisissaient d’abord les jeunes, des jeunes robustes, des jeunes en bonne santé. Et, quand vous aviez un défaut, quand vous aviez une plaie quelque part, on ne pouvait pas vous acheter. Et pour que les jeunes robustes ne soient pas achetés, ils pouvaientexprès se blesser (Kwenzi-Mika, 200332).

 

L’histoire officielle a tenu dans l’ombre ces événements pour des raisons diverses tant d’un côté que de l’autre : « [laviolence et [la] brutalité [de la DTSexpliquent très probablement [...] le silence convergeant des pouvoirs publics, qui voulaient faire oublier, et des descendants d’esclaves, qui voulaient oublier » (Taubira, 1999). Trois aspects seront abordés dans cette analyse : les faits entourant la Déportation Transatlantique des Subsahariens, l’enjeu du silenceet l’importance de l’imaginaire dans le devoir de mémoire.

 

Les faits de la capture

Plateforme d'apprentissage en ligne de l'UGB /http://foad.ugb.sn/course/view.php?id=603&section=1


 

La Déportation Transatlantique des Subsahariens est un fait historique dont on entend peu parler. Il s’agit pourtant de la plus grande migration involontaire jamais connue dans l’histoire humaine. Tout semble avoir été mis en œuvre pour que ce moment peu glorieux tombe dans l’oubli au détriment des descendants subsahariensCes derniers doivent cependant toujours vivre avec les conséquences de la Déportation et de la colonisation, qu’ils habitent le continent ou soient membre de la diasporaC’est l’ampleur de ce silence, ainsi que les mécanismes au service de l’oubli, qu’il s’agit ici de reconnaître. 

La Déportation Transatlantique des Subsahariens a profondément déstabilisé les sociétés visées, les privant de savoirs ancestraux et d’opportunités de développement, mais a grandement avantagé les sociétés esclavagistes« Ce qui fait que la traite atlantique était unique est que l’achat, le transport et la vente des esclaves étaient guidés par les principes du capitalisme moderne » (Emmer, 2005, 14). On estime que plus d’une dizaine de millions de Subsahariens sont devenus esclaves dans les Amériques entre le XVᵉ et le XIXᵉ siècle, permettant aux esclavagistes de s’enrichir à leurs dépens


Mais l'impact humain de la traite négrière ne peut se cantonner à répertorier le nombre d'esclaves vendus. Comme le précisait le théoricien américain panafricaniste W.E.B. Dubois, [...] toutes les victimes collatérales de ce commerce, ceux qui sont morts plutôt que de se laisser capturer, ceux qui n’ont pas survécu aux conditions de détention et de transport, les enfants qui sont morts parce que leurs parents ont été capturés. Pris dans ce cadre large, W.E.B Dubois estime qu’il faut compter en moyenne quatre victimes collatérales pour un esclave vendu [...] » (Leroueil, 2012).

 

La Saison de l’ombre rapporte le drame par la bouche de ceux qui restèrent sur le continentL’autrice révèle leur douleur et leur incompréhension devant les disparitions soudaines de certains d’entre eux, fils, époux, chef spirituel. Le roman nous décrit ce moment soudain de prise de conscience, le moment de rupture, lors de l’incendie qui ravage le clan, cette « [...] “heure zéro” [...] moment charnière de l’histoire [...] » (Bond, 2012, 2), la réalisation de l’effondrement du monde connu, la certitude que rien ne sera plus comme avant.  Le récit dépasse les statistiques abstraites pour raconter le drame humain des mères et des familles séparées. Il montre comment les Mulongo deviennent les victimes du clan voisin et des envahisseurs européens, tandis que les Bwele collaborent pour assurer leur survie et préserver un semblant de pouvoir. Les Mulongo, peuple pacifique, croient tout d’abord être victimes desprits mauvais œuvrant par l’entremise des mères des disparus, le clan entretenant un étrange mépris ancestral envers les femmes depuis la mort de leur fondatrice (44)Miano nous montre ces mères hantées par les esprits de leurs fils morts de s’être jetés dans l’océan, par l’abandon volontaire de leurs corps, dans l’espoir de renaître au village et d’échapper à l’oubli (224). Ce sont des ombres qui s’amènent, s’exprimant avec leurs voix : « Mère, ouvre-moi, afin que je puisse renaître. [...] Mère, hâte-toi. Nous devons agir avant le jour. Autrement tout sera perdu [...] » (14). Ce passage rappelle le sort des capturés décédés avant et pendant la traversée de l’Atlantique et laissés sans sépulturenous dit la terreur de ces êtres asservis devant l’inconnu de la traversée et la cruauté à laquelle ils sont soumisMais les femmes craignent d’avoir affaire à des esprits malins et ne pouvant se tourner vers leur guide spirituel, lui aussi disparu, elles refusent de répondreLeur silence rejoint symboliquement le mutisme des nations contemporaines au sujet de ces pratiques terrifiantesSeule Eyabe trouvera le courage et la motivation de partir à la recherche de la vérité, une vérité d’une férocité inégalée, vectrice d’une terreur indicible.  


Le temps de la terreur présente plusieurs formes : il y a la soudaineté, l’instant qui transperce la continuité du temps linéaire. Il y a la surprise de l’assaut et la permanence animée de la razzia. Et il y a la durée, la lenteur du martyre, l’infinitude de la cruauté (Sofsky, 2002, 120).

 

Cette cruauté effectivement infinie se révélant à Eyabepersiste encore de nos jours. On peut la constater dans les inégalités sociales causées par les vestiges du colonialisme. Elle prévaut tout autant dans le développement du continent africain que dans celui de la majorité des afrodescendants

 

L’enjeu – Tenter de contrer l’oubli

 

Des questions concernant l’histoire de la Déportation Transatlantique des Subsahariens commencent à être soulevées après la Seconde Guerre mondiale. Les efforts se font surtout sentir au sujet de la mémoire de l’esclavage qui « a ainsi justifié l’établissement de lois dites mémorielles, comme celles adoptées en France en 2001 ou au Sénégal en 2010, qui font de l’esclavage un crime contre l’humanité » (Cottias, 2024, 5). Miano présente cependant une image de la résistancecelle des survivants s’organisant dans l’espoir de rebâtir une société commune, une identité nouvelle, car les survivants ont aussi souffert de la Déportation. La résistance des Subsahariens contre leurs opposants est un fait rarement noté. Il est ici révélé aux lecteurs. Ce sont ces résistants et survivants qui vivent avec la douloureuse mémoire de la capture et de la perte de leurs êtres chers, avec la crainte d’être pris à leur tour, et sur qui repose autant que sur les épaules des Subsahariens déplacés, la tâche de transmettre cette mémoire aux générations futuresCette transmission n’a malheureusement pas lieu, car « Il y a un manque de mémoire ancienne dans les pays de l’Afrique Centrale. Pourtant la traite négrière a vraiment redéfini le monde. Elle a duré un demi-millénaire! » (Darriet-Féréol, 2016)L’œuvre de Miano rappelle l’importance de la mémoire, distincte de l’histoire. Elle ne se limite pas à une reconstitution officielle, souvent façonnée par ceux qui détiennent le pouvoir.


 [L’histoire étant, ce] récit cohérent de ce que l’on est en mesure de reconstituer à la suite d’un travail d'enquête systématique et de déduction vraisemblable, ou ce que l’on s’autorise à dire parce que l’on détient un pouvoir que l’on veut continuer d’exercer (Jewsiewicki et Létourneau, 1996, 39).

 

Elle nous dit la nécessité de commémorer ces événements tragiques afin de contrer l’oubli, d’apporter un réconfort aux âmes en peine des êtres laissés sans sépulture et de ceux disparuloin des leurs. Il s’agit d’une obligation morale, pour qu’enfin les Subsahariens d’aujourd’hui puissent aller de l’avant, à l’image du Sankofa (Omulan, 2024), cet oiseau emblématique, symbole de l’importance de se confronter au passé et de l’honorer pour enfin en guérir et construire un avenir meilleur. Après plusieurs dizaines d’années de silence après l'abolition de la capture et de l’esclavage, le sujet refait surface dans la société française, l’une des principales responsables de ces événementsCe long silence est parfois attribué à « [...] une incapacité à penser l’exploitation la plus brutale et accomplie d’êtres humains par d’autres êtres humains, plutôt que d’une volonté [de l] occulter » (Verges, 2005, 1144), mais la réalité est que


 [les] expressions mémoire sélective “ crime oublié “ occultation  sont largement utilisées pour qualifier la manière dont le colonialisme, l’esclavage, la traite et autres événements sombres de l’histoire [sont] traités dans les manuels scolaires, par les politiques et les médias (Verges, 2005, 1150).

 

Cette constatation donne à penser à un choix volontaire et délibéré de taire ces aspects du passé et de construire une histoire biaisée. Ce sont donc des raisons politiques et économiques, mais aussi une gêne morale devant les atrocités de la DTS et les théories racistes d’une époque qui se devait, pour se faciliter la vie et s’éviter des cas de conscience, de justifier l’asservissement de millions d’êtres humains qui poussèrent les responsables à étouffer la transmission de cette mémoire douloureuseEt, comme il semble difficile de quitter l’espace du dominant, il y a de plus 


« [...] les freins sociaux, psychologiques et culturels qui empêchent une série de pays européens anciennement colonisateurs, dont la Grande-Bretagne et la France, d’accomplir un nécessaire travail de deuil face à la perte passée de leur empire, afin de bâtir des sociétés plus justes, pleinement multiculturelles » (Ducournau, 201083).

 

Mais cette mémoire existe et même si elle demeure fragmentaire, elle est nécessaire pour la compréhension du présent et pour la mise en place d’un avenir meilleur. Cette histoire est apte à répondre aux multiples pourquoi d’aujourd’hui. Si « Le crime n’est pas excusable [il] peut et doit être expliqué. Parce que ce long passé n’est pas étranger au présent » (Miano, 2016, 148). 

Des mesures furent instituées par certaines villes portuaires significatives par leur participation à la DTS, telle Bristol, qui a entrepris un « travail consacré à la constitution d'une mémoire collective relative à la Déportation Transatlantique des Subsahariens et à ses conséquences pour ce port britannique » (Chivallon, 1999, 100). Bordeauxsa ville jumelle, elle aussi redevable de sa « prospérité à ce fameux siècle d’apogée que fut le XVIIIᵉ siècle pour cette économie [...] » (Chivallon, 200567), préfère minimiser son rôle dans ce marchéillustrant bien « une France multi-discours, où chaque étape législative aura constitué un parcours d’obstacles sur un champ de polémiques politiciennes » (Bonin, 2020, 6).


Bristol, déboulonnement de la statue d'Edward Colston, négrier et bienfaiteur de la ville  Radio-France https://www.radiofrance.fr/franceinter/snapshot-a-bristol-on-deboulonne-un-symbole-de-l-esclavage-9335873

Sur le continent africain, des lieux symboliquement chargés de mémoire sont ouverts au public afin de permettre des commémorations, telle l’île de Gorée, au large de Dakar (Cluzel, 2024). Le site est pris en charge par un programme de réhabilitation soutenu pal’UNESCO, par l’état sénégalais et par la fondation Ford afin de créer un parcours vers un centre de documentation et d’interprétation de la Déportation. On y a reçu près de deux millions de visiteurs en 2022autant des Afrodescendants que des continentaux. Au Ghana, ce sont d’anciens forts négriers transformés en musées qui rappellent à la mémoire collective l’abomination dont furent victimes les déportés. Des dates sont choisies pour souligner ce qu’ont vécu les Subsahariens capturésafin que leurs mémoires soient honorées. Le 25 mars souligne la Journée internationale de commémoration des victimes de l’esclavage et de la traite transatlantique des esclavesalors que le 23 août est la Journée internationale du souvenir de la traite négrière et de son abolition. Comme le soulignent les Nations-Unies, ces journées commémoratives servent à transmettre la mémoire de ces événements tragiques et font œuvre d’éducation.

 

Raviver les mémoires par l’imaginaire

 

La littérature permet aujourd’hui de faire une place à ces mémoires trop longtemps cachée. L’imaginaire accorde corps et vie aux êtres et à l’histoire oubliés en récupérant les récits de résistance négligés par l’histoire officielleMiano réhabilite les victimes en leur donnant à jouer un rôle actif dans la lutte pour la dignité et la libertéElle donne une individualité aux millions de victimes de la DTS, souvent réduites à des statistiques dans les livres d’histoire, participant ainsi à la construction d’une mémoire universelle. La Saison de l’ombre concrétise ces mémoires ignorées en comblant les lacunes de l’histoire officielle eurocentrée. Le roman, par ce qu’Édouard Glissant nomme une « vision prophétique du passé » (Glissant, 1981132)permet un accès privilégié à cette période du passéL’autrice ouvre une fenêtre sur le vécu probable des continentauxvécu basé sur des faits historiquesen relatant leurs expériences, les réintégrant dans la mémoire collective par la restitution de leur humanité. Elle utilise son art pour analyser et dénoncer les mécanismes de domination, de racisme et d’exploitation qui ont accompagné la DTS et qui sont toujours d’actualitéC’est un véritable engagement qui se crée, une dénonciation des omissions dans les discours officiels, une revendication ferme afin que la vérité des peuples subsahariens soit enfin reconnue par tous.


"l’engagement procède dans une large mesure de la conscience que l’écrivain possède de son historicité : il se sait situé dans un temps précis, qui le détermine et détermine son appréhension des choses ; pour qu’écrire s’identifie dès lors au projet de changer le monde, pour que la littérature soit une authentique entreprise de changement du réel, il faut que l’écrivain accepte d’écrire pour le présent et veuille ne rien manquer de [son] temps » (Denis, 2000, 37).

 

Pour Léonora Miano, « Toute littérature est politique » (Miano, 2016, 105). La littérature subsaharienne est politique par sa position inégalitaire avec littérature françaisese trouvant à la périphérie lointaine du champ littéraire dominant (Bourdieu,1991), celui de l’ancienne colonisatrice toujours influenteLes écrivains subsahariensdu fait de leur exclusion de cette littérature en langue prescrite par la colonisationce français dans lequel est contenu leur passé gardé sous silencese voient dans l’obligation de se créer à eux-mêmes, de refaire le monde selon leurs propres perceptions, leurs propres préoccupations. Ils doivent déconstruire les récits dominants afin de replacer leurs peuples marginalisés au centre de leur version de l'histoire. C’est à la rencontre de cette réalité, différente de celle racontée depuis toujours par l’Occident, que Miano nous invite dans La Saison de l’ombreC’est par la littérature qu’elle nous démontre la persistance d’une mémoire que plusieurs ont voulu oublier.


Toute littérature est politique. Elle est une prise de parole individuelle, singulière. Or le Je est politique, passible de censure sous certaines latitudes. Elle est l’audace de créer. Or, le geste artistique est en soi un manifeste politique. La littérature, écrite ou orale, est le testament des peuples. (Miano, 2016, 111).

 

 

 

Conclusion

 

La Saison de l’ombre de Léonora Miano s’impose donc comme une œuvre littéraire profondément engagée, où l’imaginaire comble les silences laissés par l’Histoire. Elle transcende la fiction, participant de ce fait à la réactivation de la mémoire collective. Son écriture ne cherche pas seulement à relater un passé traumatique, mais à recréer un espace où les mémoires marginalisées peuvent s’exprimer et être entendues. Par ce geste, Miano ne se limite pas à dépeindre les faits historiqueselle explore les émotions, les douleurs et les résiliences de ceux qui ont vécu ces pertes. Elle rappelle que l’Histoire n’est pas qu’un récit de pouvoir, mais qu’elle peut aussi être portée par des voix intimes et collectives, celles qui refusent l’oubli et réclament la reconnaissance. Ce roman s’inscrit ainsi dans un devoir de mémoire, utilisant la puissance de l’imaginaire pour analyser, dénoncer et, surtout, raviver la conscience des drames et des injustices du passé. La littérature s’en trouve transformée en un outil de réparation symbolique et de réflexion profonde sur notre rapport au passé et sur notre avenir commun.




Pour aller plus  loin... 

Institut de recherche et d'études féministes Uqam / https://iref.uqam.ca/babillard/litt_africaine_leonora-miano/


Bibliographie 


Corpus primaire

Miano, Léonora, La saison de l’ombre, Paris, Grasset & Fasquelle, 2013, 240 p. 

 

 

Corpus secondaire

Bakhtine, Mickaïl, La poétique de Dostoïevski, Paris, Seuil, coll. « Points », 1929, 1970, 372 p.


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Omulan, Sofia, « Sankofa, signification et symbolisme »,Mondes invisibles, 2024, en ligne, < https://mondes-invisibles.com/sankofa-signification-et-symbolisme/>, consulté le 21 novembre 2024.


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Sofsky, Wolfgang, L’ère de l’épouvante : Folie meurtrière, terreur, guerreParis, Gallimard, coll. « NRF Essais », 2002, 300 p.


Tradition orale liée à la traite négrière et à l’esclavage en Afrique centrale, sous la direction de Jérôme Tangu Kwenzi-Mikala, Paris, Unesco, 2003, 115 p.

 

Verges, Françoise, « Les troubles de la mémoire : Traite négrière, esclavage et écriture de l’histoire », Cahiers d’études africaines, 179-180, 2005, p. 1143-1177, en ligne, <https://doi.org/10.4000/etudesafricaines.15110>, consulté le 24 septembre 2024.

 

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