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Le beurre de peanut, drame en un acte et demi, inachevé


—Ah non, y a pu de beurre de peanut!
—Comment ça, pu de beurre de peanut?  J’en ai acheté un pot géant samedi passé!  Je peux pas croire qu’y est déjà vide! 
—Bin, y est pas là!!
—Belle gang de cochons, j’en reviens pas!  C’est la même histoire depuis deux-trois semaines!  Aussitôt acheté, aussitôt vidé! Vous faites quoi avec le beurre de peanut, vous vous en crémez le corps au complet?  Je vois même pas les pots vides!

La chaise de cuisine manque de s’écraser sous le découragement de la pauvre mère. Les portes d’armoires claquent à la volée sous les assauts répétés d’un adolescent au regard égaré de celui qui n’a rien mangé depuis des jours.  Malgré ses efforts, le même drame se rejoue sans fin : Y a pu de beurre de peanut!
Dans le couloir ensoleillé, un petit bonhomme d’à peine six ans tend l’oreille, l’air inquiet.  Sa frimousse aux joues rebondies luit de saleté poisseuse. Ses pieds le mènent, mine de rien, vers la porte, les bras croisés sur un gros pot de beurre d’arachide. 
     Lionel, tu vas où comme ça là?  C’est presque l’heure du souper!  Lionel, reviens icitte tu suite !
(Le texte pourrait s’arrêter là, mais comme on a eu une grosse semaine pour plancher dessus, fallait ben qu’il se passe autre chose!)


Peine perdue, Lionel est déjà loin.  C’est vers le parc qu’il se dirige à petits pas pressés, peinant quand même un peu sous le poids de sa précieuse charge. Sur un banc de bois à la peinture écaillée, un vieillard profite du restant de soleil, une cigarette puante au bec.  Plus loin, un chat errant court après sa queue. Le parc n’est plus qu’à quelques pas et Lionel s’y engouffre.
Sous les arbres, un demi-jour inquiétant succède à la rue ensoleillée. Arrivé devant l’érable tricentenaire au tronc cerclé d’un trait orange fluo, Lionel dépose son fardeau.  Le souffle lui manque et son cœur bat trop vite.  Il recule un peu et se cache derrière un buisson.  Les autres jours, il se contentait de déposer le pot et rentrait bien vite chez lui, mais cette fois-ci, c’est différent.  Malgré la frayeur qui lui tord le ventre, sa détermination reste intacte. Il doit découvrir ce qui hante ses rêves avec des exigences alimentaires si précises.
Un hululement sourd se fait entendre, les ombres violettes s’allongent. Est-ce un coyote, un fantôme? Yeux écarquillés, Lionel fait le guet.  Il ne veut rien rater mais ce qui se produit à cet instant lui coupe tous ses moyens.  Le spectacle inattendu qui prend place devant lui le renverse tellement qu’il en tombe sur les genoux.
(Ça pourrait aussi s’arrêter ici, mais il s’est passé autre chose!)
Au loin, une voix se lève :
—Lionel, c’est le temps de venir souper là, arrive, mon petit torrieu!




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