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Scarabaeidea


Voici enfin mon second texte présenté en Atelier d'écriture au semestre dernier.  J'ai reçu la correction ce soir et je suis encore une fois très satisfaite du résultat obtenu, encore un B+ avec des commentaires très intéressants.  Il faut absolument que je trouve comment identifier ces fameuses prises en charge qui me donnent tant de fil à retordre, mais je crains bien être devant un problème de langue de bois, le vocabulaire utilisé lors des corrections m'est assez étranger et je n'ai pas vraiment pris le temps de faire les recherches nécessaires pour m'y retrouver.  Didascalie, ça vous dit quelque chose?  J'ai dû chercher dans le dictionnaire pour savoir de quoi il retourne et malgré la définition assez claire, je n'arrive toujours pas à identifier ces passages dans mes écrits.  Ça viendra peut-être...

 Assez de bavardage, voici le texte...


Scarabaeidea


—Faudrait que tu viennes là, Emmanuel! Écoute, j’en arrache pour vrai, je tiens pratiquement pu debout! J’ai mal partout, pis le docteur ma’ dit de d’mander de l’aide si j’en ai besoin, ben là c’est le temps!

—  [… ]

—Ok ok, je l’sais que t’es ben occupé avec ta job, tes enfants pis toute, mais si j’avais pas b’soin de toé, je t’demanderais pas, t’sais ben.

— [… ]

—Je comprends pas, c’est pourtant pas compliqué ce que j’demande! Faudrait juste mettre de l’insecticide dans l’jardin. C’est l’affaire d’une demi-heure! Les scarabées sont fous depuis quelques jours. J’ai peur de perde mes rosiers pis je dors mal, je suis fatiguée.

— [… ]

—Ben oui, ben sûr que ça peut attendre, c’est correct!  Pas comme si j’avais le choix, hein? C’tout le temps la même histoire avec vous autres, vous avez jamais le temps! Mais les rosiers commencent à faire durs, pis moi avec, je te dis!  Faudrait un autre piège en plus de celui qui est déjà là! Mes jambes me font mal, j’arrive pas à faire tout le tour du terrain!

— [… ]

—Pis y a des fils d’araignée dans le haut des rideaux, faudrait toute défaire ça!  Ok, c’correct, je vais attendre !! Fais attention à toé là. Dis bonjour aux enfants pis appelle-moé avant de t’en venir, bye!


Après avoir vécu en ville à la suite de la mort de son mari, Thérèse avait ressenti le besoin d’un retour aux sources. Elle a donc repris la petite maison de campagne qu’elle louait jusqu’à présent, ce cottage où elle avait cru trouver le bonheur avec son mari, le Français si bien intégré. Elle n’admettra jamais son rôle dans la disparition précoce de l’entomologiste amateur, lui dont la passion garantissait d’horribles cauchemars à toute la famille. Des amoureux en balade l’avaient découvert, le crâne fracassé, sur la portion fermée au public du sentier des Éboulis, au nord du village. Conclusion de l’enquête : Décès accidentel dû à un glissement de terrain. Thérèse a la conscience tranquille, personne ne connaît son secret. Elle n’ose penser aux dégâts psychologiques causés à ses fils lors des rencontres inopinées avec les bestioles que leur père laissait circuler en liberté dans le logis. Elle bloque volontairement tout souvenir du plaisir sadique qui animait cet homme devant la crainte et le dégoût provoqués par ses suggestions de jeux sexuels hors de l’ordinaire.


Le jardin où elle passe les journées de la belle saison est tranquille et de toute beauté. Elle s’y installe dès le matin pour lire ou peindre quand le climat le permet. Les rosiers se portent à merveille. Solides, bien adaptés au climat de la région, seule l’invasion annuelle de scarabées japonais menace leur beauté parfumée. Ces horribles bestioles, les Popillia japonica, comme les nommait affectueusement son défunt mari, s’attaquent aux boutons, dévorent les fleurs à peine écloses, s’en prennent aux feuilles, à tout ce qu’il y a de plus tendre dans la plante . Malgré le piège à phéromones installé dans le lilas, leur nombre grandissant cause des ravages dévastateurs.


Au cours des derniers jours, Thérèse en a aperçu quelques-uns à l’intérieur. Elle les a recueillis avec son aspirateur manuel. L’idée que l’invasion ne se propage à sa demeure l’inquiète. Depuis toujours, les insectes la dégoûtent, tous les insectes, des coléoptères aux fourmis et même les papillons malgré leurs ailes chatoyantes.  Les mangeurs de roses occupent quand même une place spéciale dans ses pensées. Ils lui amènent des envies d’armes de destruction massive. Attendre le bon vouloir de ses fils pour passer aux actes est une torture.


Une brise trop fraîche pour ses épaules la chasse du jardin. Elle cherche une légère veste de laine. En ouvrant son armoire de vêtements hors-saison, elle recule devant l’envol de mannes translucides qui en jaillit. Des mites ! Un reste de naphtaline aura raison de ces lépidoptères et préviendra l’étendue de l’infestation.


La journée se passe, ponctuée de chasse aux insectes plus ou moins menaçants. Ils sont partout en cette fin d’été. Un mille-pattes dans l’évier, ça arrive. Même s’ils sont inoffensifs, leur apparence répugne. Une coccinelle perdue dans un rideau, une mouche qui cherche une sortie de secours dans le grillage de la moustiquaire. L’été, comme il se doit.


Une soupe en boîte avec un peu de cheddar et un toast beurré compose son dîner. La chaleur lui coupe l’appétit. Son bol à la main, elle sursaute à la vue d’un éclat de couleur fantastique. Un ovale d’un vert émeraude à moitié caché par son guide télé se reflète dans le creux de sa cuillère. Un scarabée pas du tout japonais !


Le nom de l’insecte lui est inconnu, mais elle se rappelle bien la première fois qu’elle en a vu un semblable. C’était du vivant de son époux, un soir qu’il revenait d’une visite de plusieurs semaines dans sa famille en Ardèche. Les souvenirs qu'elle en a gardé sont vraiment désagréables. Une telle bestiole gisait sur son oreiller. Croyant repousser de la main une mèche de cheveux balayant sa joue, elle se tétanisa à la vue de ce qui lui avait causé ce chatouillement. Ses cris lui méritèrent les moqueries de son mari, suivi d’un épisode érotique horrible au cours duquel des chenilles molles, des araignées hésitantes et cet insecte d’un vert luminescent trottinaient et rampaient sur sa peau moite. Attachée aux quatre coins du lit, bâillonnée, elle se trouvait à la merci de ce désaxé. Ce jeu cruel avait inéluctablement amené une généreuse giclée qu’elle endura sur sa peau jusqu’au matin. Quand elle fut enfin autorisée à se lever, sa décision était prise : jamais plus elle ne vivrait un moment comme celui-là.


Cette créature n’a rien en commun avec les bêtes brun verdâtre qui occupent son jardin malgré leurs formes semblables. Thérèse réalise que l’insecte est d’une beauté incomparable, d’une esthétique parfaite. Craintive, elle l’observe de loin. Son dégoût est mêlé de curiosité.   Déplacer sa cuillère ou le guide télé est impossible, il pourrait s’enfuir. Le piéger avec l’aspirateur le ferait disparaître, mais le saisir entre ses doigts demeure hors de question. Malgré sa somptuosité, il reste un insecte ! Il serait si magnifique, épinglé dans un écrin de velours noir faisant ressortir ce vert lumineux.


Thérèse se décide enfin. À l’aide d’un balai à main, elle dirige le scarabée dans un pot Masson dans le couvercle duquel elle perce quelques trous, rappel des chasses aux papillons de son enfance. Elle ressent un émoi inexplicable, des papillons s’agitent dans son bas-ventre. Le frémissement qui joue entre ses cuisses n’a rien à voir avec la répulsion du premier regard. Ces réactions physiologiques sont insensées et inexplicables !


Ce soir-là, le sommeil se défile. Elle se tourne de tous bords tous côtés, l’esprit rempli des souvenirs d’une nuit lointaine sur fond de vert émeraude. Des démangeaisons intenses la forcent à se lever à plusieurs reprises pour s’enduire de crème pour l’eczéma. Elle est confuse. Est-ce que ce sont ses souvenirs qui la rendent si fébrile ou est-elle réellement victime d’une poussée exémateuse ? Il y a longtemps que ce fléau ne l’a pas embêtée, mais cette sensation exaspérante de sécheresse et de rétrécissement de la peau est un signe qui trompe rarement. Rien n’est visible encore, l’apparition des minuscules cloques suintantes caractéristiques de cette maladie ne saurait tarder.


Au matin, les traces de cet inconfort nocturne se manifestent par de petites piqûres rouges en cercles concentriques. — Pas des punaises de lit ? Ça n’a pas de bon sens, il n’y a aucune raison pour que ces nuisances se soient installées chez elle ! Les draps se retrouvent prestement dans l’eau bouillante. Aucun signe de punaise lors de l’inspection du lit, mais un couvre-matelas propre le recouvre aussitôt. Après avoir chassé une fourmi de sa salle de bain, elle s’installe au jardin avec ses pinceaux et ses papiers dans l’idée de reproduire le scarabée vert.


L’insecte n’a pas survécu à sa nuit de captivité. Ses couleurs scintillent toujours sous la lumière du soleil. Thérèse n’a pas encore commencé à peindre qu’un attouchement léger sur sa nuque accompagné d’un bourdonnement sourd, la fait sursauter. En alerte, elle passe une main tremblante sous ses cheveux et sent un petit corps gigoter dans ses mèches grises. Elle se fige puis secoue la tête avec force pour se défaire de la créature. Une autre apparaît sur son poignet, et une troisième entre ses doigts. Une mouche flotte sur l’eau où trempe son pinceau. Des papillons volètent tout autour, mine de rien. Des libellules aux ailes iridescentes foncent dans tous les sens comme des aveugles. Un grésillement s’élève dans le lointain, tel un essaim d’abeilles à la recherche d’une ruche. La panique gonfle la gorge de Thérèse. Sa respiration devient laborieuse, son pouls s’accélère. Affolée, elle renonce à peindre et rebrousse chemin.


Sa cuisine devient son refuge. Elle feuillète distraitement un bouquin, son regard toujours attiré par la fenêtre où se joue un inquiétant spectacle. Certaines bestioles s’invitent par une déchirure au bas de la moustiquaire. Au détour d’une page, un maringouin aplati là depuis des années a tourné de l’œil. Dans un vol plané, le livre s’écrase au sol en une liasse informe de feuillets détachés. Les battements de son cœur retentissent à ses oreilles, la sueur s’accumule à la naissance de ses cheveux et roule dans son cou, détrempant ses vêtements,  Elle s’agite à fermer portes et fenêtres. Les bestioles sont partout. Brunes, jaunes, ou vertes, elles s’amassent en grappes compactes à chaque coin des fenêtres et leur nombre grandissant laisse de moins en moins de place à la lumière du jour. La chaleur devient bientôt insoutenable, Thérèse ne sait plus à quel saint se vouer. Elle pleure et s’agite hystériquement. La panique atteint son comble quand elle réalise que plusieurs insectes volent désormais dans son salon, ayant trouvé une voie d’entrée par les trous de serrure. Elles se regroupent et Thérèse croit discerner le visage de son mari dans leur formation sur le mur de l’entrée.


Des insectes ailés atterrissent sur elle, s’écrasant sur les verres de ses lunettes, pénétrant sa bouche et ses narines. D’autres, rampants au sol, s’accrochent à ses chaussures, escaladent le long de ses jambes, s’infiltrent dans sa culotte. Des araignées tombent du plafond et s’agrippent dans ses cheveux, sur ses oreilles. Elles dégringolent en cascades échevelées sur ses épaules. Ses ongles labourent sa peau dans de vains efforts pour se défaire de tous ces horribles monstres qui la piétinent. Se frappant la tête sur le mur, elle s’écroule au sol, tirant la nappe en tentant de se rattraper à la table et provoquant la chute de tout ce qui s’y trouve. Rampant jusqu’à la porte, elle parvient à sortir. En se relevant, ses pieds s’emmêlent dans le tapis du balcon, la jetant à la renverse au bas de l’escalier. Les insectes l’entourent d’un sombre rideau mouvant.


En fin de journée, des agents immobiliers à la recherche d’une bonne affaire auprès de retraités isolés la trouvent dans son jardin, des scarabées japonais grouillant partout sur son corps. Les insectes sortent en masses compactes par tous ses orifices. Elle a succombé aux centaines de piqûres de toutes sortes, boursoufles cramoisies visibles entre les amas vibrants sur ses membres dénudés. Cette vision d’enfer les terrifie. Une fois le signalement fait auprès des autorités, ils remontent en voiture, commotionnés. Sur le volant se tient, immobile, un scarabée émeraude, un Cetonia aurata bien Européen.













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