Courts textes de mise en situation écrits au Musée des Beau-Arts de Montréal, d'après les suggestions de Johanne Jarry dans le cadre de l'Atelier du temps du 6 octobre 2019. J'ai adoré cet atelier et compte bien poursuivre mon expérience.
Le silence des bêtes – Quel animal je suis et comment je fais ma vie dans le monde des hommes
Mon cabinet de curiosités
Me composer en tant que paysage
Dénudée,
je gis là, offert à tous. L’étendue sablonneuse couvre tout ce que l’eau laisse
voir. Pas d’arbre en vue. Tachée d’indigo et d’ocre, je tressaute, venteuse. Je
tente tant bien que mal de rassembler ces nuages rosâtres en un ensemble
cohérent, menaçant, tempête oblige. Je les colore donc, de soufre et de charbon,
de foudre et de statique. Les vagues me bercent, j’exagère la cadence, la force
en tournoiement. Je gicle dans l’air humide et chaud. Ça souffle en moi, ça
crache — le vent, l’ouragan, la colère, sans pitié comme sans répit. Face
voilée d’ombre, je me cache dans la nuit pour mieux frapper les esprits. Demain,
j’aurais changé, demain je serais calme, céruléen dans l’horizon couché, le sel
couvrant chaque coquillage, chaque galet. Peut-être laisserais-je une jeune
noyée sur le rivage, chevelure d’algues longues et rousses, membres bleuis à
l’odeur poissonneuse, joyau pâle sur le sable mouillé, mon offrande au matin
levant.
Lion.
Crinière emmêlée, odeur
sauvage, musquée. Retranché dans la réserve de plus en plus étriquée, je me
tiens coi, aux aguets. Je ne dis rien… pour le moment. J’ai appris la peur, moi
qui régnais sur le monde et ne devais connaître que le courage. J’ai appris à
me cacher de ces bêtes longues et nues, je sais plier l’échine à leur vue
tonitruante, reconnaissant leurs odeurs de lait caillé et de mauvais sang. Ils
suent la terreur alors que je tiens la mienne au garde-à-vous, prête à
combattre, prête à leur sauter à la gorge d’un seul bond léger et mesuré, sans
effort, sans méchanceté. À l’inverse
d’eux, je ne feindrai pas l’amitié. Je ne me costumerai pas de camouflages
ambitieux et dérisoires. Je ne serai que moi, entier, honnête… et fier,
ne reculant devant rien. Je laisserai ma peur agir en toute liberté, toutes
griffes dehors.
Être un étranger… ICI…
Genre, âge, statut… Comment être
le contraire de moi-même ?
Rat,
chat, singe, feuilles, Michael Jackson Spike Lee Mandela Mobutu Mugabe ou pas
pourquoi pas Obama ou rien de tout ça. Une violence m’habite. Elle prend les
couleurs de l’arc-en-ciel, se fait une allure joyeuse tout en pleurant sur son
sort, afin de ne pas faire peur aux « autres ». Mes chaussures me
blessent. But, le monde s’en fout. Racines coupées, branches émondées, mon
tronc tatoué, scarifié, trône encore, tient bon encore, un peu, pour combien de
temps ? On ne m’a pas dit que ce serait comme ça et ce n’est pas ce que l’on
pense. Je veux « eux » – être « eux » – être ou avoir, quelle
importance ? Être ou avoir cette fille sur Instagram avec ses lèvres pulpeuses,
ses yeux bleus et son cul d’enfer.
Je suis « autre », sec,
maigre, sans espoir parce que d’ailleurs, parce que l’ailleurs. Noir, mais
transparent, grand et baraqué, mais invisible. J’ai soif, j’ai faim, je veux un
iPhone, des Nike et une veste Moschino. Je veux être « autre » et rester
moi-même. Je veux qu’on me regarde, moi, mais comme je regarde ses « autres ».
On a tous un cœur d’envie, de désir, qui palpite dans cette nuit solitaire,
dans cette vie rescapée. J’ai beau être ici, je ne serais jamais que celui
d’ailleurs. Donne-moi ta main, j’ai peur.
Écrit de la main gauche
Renversé, le ridicule de la pose saute aux yeux.
Vulnérabilité exposée, je meurs devant vous tous. Sang sueur excrément crachat
je vous vomis estomac retourné comme un gant. Douleur, je me fends des tréfonds
au fondement, je demande grâce, tente l’équilibre de force, tourment imposé,
retourné, jambes tendues dans un ultime effort de reprendre le contrôle,
l’équilibre même précaire est souhaitable. Je meurs devant vous qui tournez le
dos, fermez les yeux et passez votre chemin la tête ailleurs déjà. Renversé,
exposé, humilié, dépassé, rejeté, vulnérable, tombé du mauvais coté, tombé dans
l’ailleurs. Je meurs devant vous.
Mon cabinet de curiosités
Ça pourrait être aussi loufoque que 10 moutons, 9
moineaux, 8 marmottes, 7 lapins. Un zoo ferait tout aussi bien l’affaire. Dedans,
il y aurait. Un cacatoès, bébé encore, crête jaune en éventail, un Schnauzer à
moustache bien garnie mon Caporal. Un petit Billy tout petit bleu ciel trouvé
un soir de juillet annonciateur de mort subite bien malgré lui, folklore oblige.
Apprivoisé un peu quand même beaucoup, assez pour copuler sympathiquement avec
une main mâle amicale. Une souris blanche aussi, survivante à répétition
d’assauts amères. Un drapeau du Québec sur fond d’Union Jack avec des encarts
jaune vert noir bleu blanc rouge or emblèmes des Isles brûlées par le vent et
le soleil palmiers Tainos. Un globe terrestre, une carte du monde, pas de carte
postale. Des aiguilles à tricoter en bois précieux de toutes les grosseurs, des
livres dans tous les coins et même ailleurs, des feuilles entières de papier Arches
100 % coton grain fin 300 lb et des pinceaux, des tubes, des stylos,
des crayons, le tout couvert de poils de chats, deux. Des livres partout, mais sérieusement partout, je l'ai tu dit? Chaussures de sport,
de marche, de bal, de set carré, de tango, de ballet, de rien, talons hauts,
talons plats, aiguilles pointus, ronds carrés larges et autres Émile Zola, Victor Hugo. Pas de trophée, j’ai jamais rien gagné
faute d’exceller. Un contenant de crème glacée, chocolat et caramel salé, des
rosiers, des colliers, ambres perles améthystes. Des résultats de tests
sanguins, fioles pleines à ras bord. Bobines de fil aiguilles attachées au flanc
des carnets gribouillés, un ordinateur de bureau fichiers béants ouverts sur le
vide sidéral une poupée vaudou percée de partout portant au cou un panonceau
Hors d’usage, sa rate dératisée depuis belle lurette. Des tableaux abstraits,
Murielle Faille, Bolieu pour l’instant. Des pâtes, sauce tomate, arrabiata,
piments forts et poivre noir, du fromage pis du gruau. Et dans un coin, une minuscule lampe
de lecture, éclairant un cœur saignant à vif, scellé dans une cotte de maille
serrée de partout.
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